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Chapitre VII. Lois du jan de retour et de la sortie des dames.

La révolution entière du trictrac, lorsqu'elle s'accomplit, et qu'elle n'est pas interrompue par l'exercice du droit qu'a chacun des joueurs de s'en aller, consiste à faire parcourir successivement à toutes ses dames les quatre jans du tablier, pour les sortir enfin par la bande contiguë au talon de l'adversaire : cette sortie a des règles particulières qu'on va exposer.

Les lois du plein et de la conservation sont les mêmes au jan de retour, qu'à tous les autres jans; ainsi on ne s'occupera que des lois relatives à la sortie.

Toutes les dames doivent être entrées dans le petitjan, pour les mettre hors du tablier. Pour jouir de la faculté de sortir des dames hors du tablier, il faut qu'elles soient toutes passées dans le petit- jan de l'adversaire; d'où il résulte, que on n'a plus qu'une dame dans le jan qui précède, et qu'on amène un point par lequel on puisse entrer cette dame, on peut, après l'avoir entrée, sortir une dame par l'autre point.

Par exemple, si l'on avait dans le jan qui précède une dame sur la sixième case, ayant toutes les autres dames entrées dans le petit-jan, et qu'amenant 6 et 5, on pût remplir par le 5 avec la dame qui est sur la sixième case, et jouer ensuite le 6 avec une dame surnuméraire au coin bourgeois, en faisant usage du privilège de la bande, on doit jouer ainsi, sous peine de l'école.

On peut sortir toutes les dames qui aboutissent à la bande. Lorsque toutes les dames sont entrées, on peut à chaque coup, sortir deux dames, pourvu que, par les points amenés, elles puissent aboutir l'une et l'autre précisément à la bande de sortie, et y faire case; car cette bande est dans ce cas considérée comme une septième flèche.

Ce principe est incontestable, et il est si bien reconnu, qu'il ne nous resterait rien à ajouter, si nous ne jugions nécessaire de signaler une décision. qui lui est manifestement opposée. Elle se trouve consignée dans un ouvrage peu connu, et qui présente plus d'erreurs que de vérités.

Cette décision porte, 1° que lorsqu'il reste encore une dame à entrer dans le petit-jan de retour, on est obligé de jouer avec cette dame, en l'entrant, le plus fort des points amenés;

2° Que tant qu'on n'a pas fait le plein du jan de retour, et qu'on peut encore le faire, on ne peut jouir du bénéfice de la bande, mais qu'on est obligé de jouer dans l'intérieur du tablier la totalité de son point, quoique toutes les dames se trouvent entrées 1.

Nous croyons inutile de combattre une décision. si contraire aux usages reçus, et nous ne nous en occuperions pas, si elle ne nous fournissait une nouvelle occasion de détromper certains joueurs inexpérimentés qui adoptent avec une confiance aveugle, même les erreurs qu'ils trouvent consignées dans des ouvrages imprimés préjugé que nous avons déjà combattu dans le cours de ce traité, en établissant que dans les coups litigieux, la véritable, la seule autorité que l'on doive consulter avec confiance, c'est celle des principes, et non les ouvrages dans lesquels on trouve de ces décisions. hasardées qui ne peuvent inspirer d'autre conviction. que celle de l'ignorance, ou au moins de l'inexpérience de leurs auteurs..

Pour mieux faire connaître les procédés à suivre pour la sortie des dames, il faut distinguer tous les divers points qu'on peut amener, par trois dénominations différentes, savoir : les points sortants, les. points excédants, et les points défaillants.

Points sortants. Les points sortants sont ceux, dont le nombre aboutit exactement à la bande par l'une des dames; alors, quoiqu'on pût jouer ce point dans l'intérieur du tablier, on a le droit de placer sur la bande les dames qui se trouvent y aboutir par ces points.

Points excédants. Les points excédants sont ceux qu'on ne peut jouer dans le tablier, et qui, par leur nombre, aboutissent au delà de la bande; alors on sort deux des dames les plus éloignées de cette bande.

Points défaillants. Les points défaillants sont ceux dont le nombre ne pouvant aboutir par aucune des dames à la bande, se peuvent jouer néanmoins dans le tablier; on ne peut sortir des dames par ces points, et on est obligé de les jouer.

Faute de celui qui prend une dame pour une autre. Celui qui, ayant à jouer un point sortant, se trompe, et touche une dame qui, par ce point, peut être jouée dans le tablier, fait faute, et est obligé de la jouer préférablement à celle par laquelle il aurait pu sortir.

Deux points défaillants réuuis peuvent former un point sortant. Celui qui amène deux points défaillants ne peut sortir aucune dame, à moins que les deux points réunis ne se trouvent aboutir à la bande. Si, par exemple, un joueur n'a plus que deux dames à sortir, posées l'une et l'autre sur la pénultième flèche, et qu'il amène béset, ce sont deux points. défaillants, dont aucun isolément n'aboutit à la bande, mais réunis ils y aboutissent; ainsi il pourra sortir une dame. Si au lieu de béset il eût amené 2 et as, l'un aurait été sortant et l'autre défaillant.

S'il eût amené 4 et as, le premier aurait été excédant, et aurait sorti; le second aurait été défaillant, et eût été joué dans le tablier.

Points que gagne celui qui parvient le premier à sortir toutes ses dames. Celui qui parvient le premier à sortir toutes ses dames marque, pour le coup qui termine cette sortie, quatre points par coup simple, et six par toutes ses doublet; il doit sous peine d'école les marquer avant de toucher ses dames pour les remettre à la pile. Il a la priorité du dé pour la reprise; ainsi il joue deux coups consécutifs. Cependant, comme il arrive presque toujours que la position des jeux ne laisse aucune incertitude sur la priorité de la sortie, on convient ordinairement, pour supprimer un grand nombre de coups inutiles et sans intérêt, que celui à qui cette priorité est incontestablement acquise, tirera un seul coup pour déterminer à la fois, et la chance de sortie et le point qu'il aura à jouer pour la reprise, dans le cas où prenant le trou par son droit de sortie, il se détermine à rester, c'est ce qu'on appelle jouer pour tout. A cette reprise chacun garde les points qu'il avait.

Points démarqués en relevant ses dames ne donnent pas lieu à l'école. Si l'un des joueurs, en relevant ses dames et les mettant à la pile, démarquait par inadvertance ses points et jouait avant de s'en apercevoir, il les perdrait, mais l'autre joueur ne pourrait en marquer l'école. Pour être passible de l'école, il faut ou avoir marqué des points qu'on n'a pas, ou n'avoir pas marqué des points qu'on a : or ici, ni l'une ni l'autre de ces alternatives n'a lieu; il y a seulement abandon des points ci-devant acquis; il n'y a donc pas école, mais simplement faute.

Difficulté relative à la sortie du jan de retour. En terminant ce chapitre, nous croyons devoir donner la solution d'une difficulté qui s'est élevée quelquefois relativement à la sortie du jan de retour.

On suppose qu'un joueur, ayant dix points, a pour la sortie du jan de retour une telle avance sur son adversaire, que celui-ci ne peut lui en contester la priorité; l'usage pratiqué dans ce cas est, ainsi que nous venons de le dire, de convenir que celui qui a la priorité assurée ne tirera qu'un seul coup pour la sortie et la rentrée. Celui des joueurs qui a la priorité, et qui a consenti à. jouer pour tout, gagne nécessairement le trou, puisqu'il avait déjà dix points; et comme ce trou lui est acquis par son propre dé, il doit jouir de l'option de rester ou de s'en aller. Cependant il arrive que des joueurs lui contestent ce droit et prétendent que par son consentement de jouer pour tout, il y a renoncé, et qu'il en est déchu comme il le serait si, après avoir joué son coup pour la sortie il avait jeté le dé une seconde fois pour le relevé suivant. Cette prétention nous semble entièrement dépourvue de raison et de justice; on ne peut pas, on ne doit pas supposer qu'un joueur prenne une détermination et un engagement formel et obligatoire sur un coup éventuel et très incertain, surtout lorsque cet engagement dépend de la nature du dé qui surviendra, et des avantages ou des dangers qu'il pourra présenter. Le but essentiel de cette convention est de déterminer par le même coup, la quantité de points que le joueur gagnera par la sortie, et les points qu'il devra jouer pour le relevé suivant, s'il se détermine à rester. Or, il ne peut prendre cette détermination que sur le vu et la connaissance de ce point. En effet, si dans l'espèce présente, le coup amené se trouvait être sonnez, il pourrait avoir, et il aurait réellement, abstraction faite de toute autre considération, un grand avantage à tenir, puisqu'il aurait quatre points de reste et douze points à jouer; si au contraire il eût amené 3 et 2, il n'aurait aucun motif pour tenir, parce que ce point n'offre rien de favorable au commencement d'un relevé.

Enfin dans toutes les circonstances, la détermination que prend un joueur de rester ou de s'en aller, doit être la suite d'un examen réfléchi de ce que peut lui faire espérer ou craindre le coup qui lui confère le droit de s'en aller; dans cette espèce, au contraire, par une subversion de tout principe, de toute raison, on prétendrait qu'un joueur use d'une faculté que la loi lui accorde, avant de connaître le coup dont la nature doit nécessairement régler l'usage de cette faculté; il faut convenir qu'un pareil système est inadmissible.


  1. Une décision à peu près semblable se trouve consignée dans un des ouvrages mentionnés au commencement de notre introduction, et qui est intitulé: Le Jeu de Trictrac. Il est vrai qu'à la fin de l'article l'auteur ajoute que sa décision n'est pas approuvée à Paris, et qu'un usage contraire y a lieu. Une pareille décision ne détermine rien, laisse la question indécise, et ne peut produire d'autre effet que d'ouvrir un vaste champ aux débats et aux chicanes, que la fixité des règles tend au contraire à prévenir.