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Chapitre XIII. Maximes générales.

OUTRE les principes et les règles qui constituent la science du trictrac, il est encore des dispositions morales qui, quoique moins essentielles, moins inhérentes à cette science, doivent néanmoins être considérées comme des accessoires importants, dont l'observation peut concourir au succès, et la négligence au contraire devenir préjudiciable. L'attention, plus ou moins réfléchie, que chaque coup exige pour être bien joué, la comparaison que doit faire chaque joueur, par un prompt et sûr aperçu, de la disposition respective des jeux, de la situation de la partie, des avantages ou inconvénients qu'offrent les différentes manières de jouer, sont autant d'opérations qui requièrent un esprit calme et libre de toute préoccupation d'idées étrangères. Si ce jeu permet quelques distractions, elles ne doivent être que légères; autrement on s'expose à faire ou des fausses cases, ou des écoles. Ces fautes sont toujours très graves, si on les apprécie par les suites qui peuvent en résulter, quoique l'amour-propre de certains joueurs cherche à s'en déguiser l'importance, sous le prétexte qu'elles ne proviennent que d'inadvertance et non d'impéritie: mais qu'importent les causes, si les effets sont également nuisibles?

Nous pensons aussi que ce jeu doit être joué avec une promptitude modérée; trop de lenteur fatigue et ennuie l'adversaire; elle fatigue même l'esprit du joueur continuellement livré à des réflexions trop longues, trop pénibles, et qui ne sont nécessaires que dans certains coups décisifs, dont la difficulté s'accroît par la complication des calculs et des combinaisons, et par le grand intérêt qu'ils offrent. Trop de vivacité a aussi ses inconvénients pour l'un comme pour l'autre joueur; elle trouble l'un, elle fait faire à l'autre des fautes ou des écoles. Nous pourrions ajouter, pour dernier conseil, qu'on doit tâcher de se montrer égal dans l'adversité comme dans la prospérité : quand l'âme est trop irascible, quand elle se livre à des émotions trop violentes, elle devient incapable d'opérations qui exigent une présence d'esprit constante et soutenue.

Les combinaisons varient suivant la position des jeux. Il est impossible de donner des préceptes particuliers pour tous les cas qui peuvent arriver et qu'on ne peut prévoir; on se contentera d'en donner de généraux, établis sur les probabilités. C'est dans l'ensemble de l'ouvrage que le lecteur attentif trouvera les règles de conduite qu'il aura à suivre pour bien jouer, et le germe des réflexions que lui suggérera la pratique. Malgré l'évidence des raisonnements, il y a des joueurs qui jouent contre la règle, les uns par témérité, les autres par ignorance. Mais rien ne nuit plus aux progrès de ceux qui désirent se perfectionner au Trictrac, que de s'obstiner dans leurs erreurs, en ne jugeant du bien ou mal joué de chaque coup que par son bon ou mauvais succès, au lieu de fonder leur jugement sur l'application des principes et des calculs. Ils s'applaudissent, ils s'extasient sur un coup mal joué, mais qu'un hasard improbable a fait réussir. Ils opposent cette réussite à la censure raisonnée de leur manière de jouer, et, refusant de s'éclairer par une expérience suivie, ils détournent leur attention des occasions bien plus nombreuses où cette manière vicieuse de jouer peut les entraîner dans des désastres irréparables : et quand ces désastres arrivent, au lieu de s'en accuser eux-mêmes, ils en accusent le hasard. Quiconque aspire à bien jouer le Trictrac doit s'attacher invariablement aux principes, en bien étudier les calculs, et les prendre pour régulateurs de chaque coup. Il ne faut pas croire que de cette exactitude scrupuleuse, il résulte une plus grande lenteur à jouer : l'habitude familiarise tellement avec l'application des principes et des calculs, que la marche du jeu n'en est nullement retardée.

Cette observation est utile pour détruire un faux système trop commun et qui s'accrédite par l'insouciance de beaucoup de joueurs, c'est de préférer de jouer d'inspiration, plutôt que de s'assujettir à la fatigue d'étudier les calculs, et d'observer les principes.

Jouer des deux côtés.

Il y a des joueurs qui contractent l'habitude de ne jouer que d'un seul côté, c'est-à-dire en marchant ou de droite à gauche, ou de gauche à droite. Cette habitude a des inconvénients; car, si la personne contre qui l'on joue a précisément contracté l'habitude de jouer du même côté, celui qui est obligé de déférer à l'autre le choix du côté, se trouve contrarié; et cette contrariété peut influer sur sa manière de jouer et y nuire. Il est donc préférable de s'accoutumer à jouer indifféremment de l'un comme de l'autre côté.

À chaque relevé s'occuper des hasards qui donnent lieu à marquer des points.

Les chances qui doivent principalement fixer l'attention du joueur, au commencement d'un relevé, et qu'il ne doit pas perdre de vue, ce sont marquer des celles qui donnent lieu à marquer des points de part et d'autre, et qui sont communément nommées hasards, parce qu'elles ne se renouvellent plus dans tout le cours d'un relevé. Tels sont le jan de six tables, ou de trois coups, les deux coins battus à vrai ou à faux, le coin battu à vrai ou à faux par le coup appelé jan de mézéas. Ces coups échappent d'autant plus facilement à l'attention, qu'ils sont plus rares: il est donc nécessaire de ne pas les perdre de vue chaque fois qu'on commence un relevé.

Ne pas jouer tout d'une le premier coup

Excepté le cas indiqué chapitre IX, pour contrarier le succès d'un petit jan, on ne doit pas jouer tout d'une le premier coup d'un relevé, il vaut mieux mettre deux dames à bas. On est, par ce moyen, plus à portée de jouer le deuxième coup d'une manière avantageuse, soit en entreprenant un petit jan, si la suite des points y est favorable, soit en prenant, avec ces deux dames, la position la meilleure pour faire son coin, ou pour battre les deux coins. Entre plusieurs exemples, on choisit celui où l'on aurait amené au premier coup 5 et 3; si, après l'avoir joué tout d'une, on amène au deuxième coup béset, 2 et as, ou 3 et 4, il est évident qu'on s'est privé d'une chance qui eût été très favorable au petit jan. D'un autre côté, si à ce deuxième coup, on amène un carme, il faut, ou le jouer tout à bas, ce qui ne laisse rien à espérer pour le coup suivant, ou en le jouant tout d'une, couvrir la première dame, ce qui est préférable; mais alors on ne se donne que deux chances. pour prendre le coin, et deux autres chances pour battre les deux coins. Au contraire, en jouant tout à bas le 5 et le 3 qu'on a amené le premier coup, on se trouve à même, par le carme qui suit, de placer une des dames abattues sur la neuvième flèche, et l'autre sur la septième, ce qui donnera, pour le coup suivant, quatre chances pour prendre le coin, et quatre autres chances pour battre les deux coins.

Tenues.

Discerner avec sagesse et prudence quand on doit tenir ou s'en aller, savoir apprécier avec justesse les avantages et les inconvénients de l'une ou l'autre détermination, c'est posséder une des parties les plus essentielles de la théorie du Trictrac, celle qui exige l'examen le plus mûr et le plus réfléchi. Une tenue inconsidérée peut causer, et cause très souvent les plus funestes revers, les révolutions les plus subites et les plus désastreuses. D'un autre côté, se refuser à une tenue qui offre les probabilités les plus favorables, balancées seulement par la crainte d'événements possibles à la vérité, mais invraisemblables, c'est se priver d'un bénéfice presque certain, c'est renoncer à un avantage présent qu'on aura peut-être peine à ressaisir. Les faveurs du sort sont toujours compensées par des revers; si l'on ne sait pas profiter des unes, qu'aura-t-on à opposer à la rigueur des autres? La véritable prudence consiste à tenir un juste milieu entre une témérité irréfléchie et une crainte pusillanime. Pour fixer en pareil cas l'incertitude du choix, on doit consulter non seulement la position respective des jeux, mais encore l'état de la partie: cette dernière considération influe nécessairement beaucoup sur le choix à faire.

En général, il faut tenir toutes les fois qu'en tenant il y a plus à gagner qu'à perdre; il faut s'en aller, au contraire, lorsqu'en tenant il y a plus à perdre qu'à gagner.

En s'attachant invariablement à cette maxime on évitera de compromettre un marqué acquis, soit simple, soit en bredouille; et cela pour obtenir un ou deux trous de plus. Mais cet espoir d'un si faible bénéfice, fût-il même très probable, peut être détruit par un revers inattendu. Ce danger est surtout à redouter lorsqu'en perdant la bredouille on la donne à l'adversaire. Mais d'un autre côté, on ne négligera pas une tenue qui, sans compromettre le marqué, pourra néanmoins offrir la perspective d'un bénéfice bien supérieur à la perte qui pourrait en résulter.

Quand il faut chercher à tenir pour gagner la grande bredouille.

Il est néanmoins un cas où l'on doit se livrer à une spéculation ambitieuse, en s'exposant à la perte d'une portion du gain acquis, pour obtenir un bénéfice beaucoup plus considérable. Ainsi, par exemple, si un des joueurs parvient à neuf ou dix trous en bredouille, son plein fait et le surplus des dames placé avantageusement dans le petit jan; que l'autre joueur au contraire ait déjà son grand jan plein, sauf une demi-case, et le surplus de ses dames placé de manière qu'il ait plusieurs chances pour prendre le trou, soit en remplissant de trois façons ou de deux par doublet, soit en ne remplissant que de deux façons par un petit point, avec la probabilité de tenir le coup suivant : comme, par exemple, s'il lui reste à couvrir la dixième flèche, et que les dames restantes soient sur les sixième, septième, huitième et neuvième flèches; dans cette position il aura, pour prendre le trou d'emblée, 2 et ás, 3 et as, béset et double 2, co qui fait six chances. Il aura de plus pour prendre huit points, en remplissant de deux façons, et es pérer tenir le coup d'après, 4 et 3, 4 et 2, 3 et 2, et 4 et as ainsi la totalité des chances pour perdre la bredouille serait de six dans le premier cas, et de huit dans le second, sans être assuré de tenir encore une fois. Mais un calcul bien simple fera connaître que le premier joueur, dans ce cas, ne doit pas hésiter à tenir et à exposer son pavillon au hasard de ces quatorze chances; on voit, par la position respective des jeux, qu'il ne compromet en aucune manière le marqué, mais qu'il expose seulement la bredouille au hasard de quatorze chances, tandis qu'il en a vingt-deux qui lui sont favorables. Or, s'il la perd, que perdra-t-il? Au lieu de recevoir vingt-deux ou vingt-quatre jetons, son bénéfice se trouvera réduit à neuf ou dix: ainsi la différence sera de quatorze à quinze jetons. Si, au contraire, il survient une des vingt-deux chances qui sont en sa faveur, ce premier joueur arrive infailliblement à la grande bredouille et il reçoit au moins cinquante-six jetons, c'est-à-dire environ trente-deux de plus qu'il n'aurait reçu en s'en allant. Ainsi il a d'abord pour lui vingt-deux chances contre quatorze au plus; et outre cet avantage, il a celui de ne risquer qu'un contre à peu près deux et demi. Mais si la perte supposée de ces quatorze à quinze jetons pouvait entraîner celle de la queue dont, au contraire, le gain aurait été assuré par la marque de vingt-deux ou vingt-quatre jetons, alors le joueur aurait tort de ne pas s'en aller; le calcul se rait en sens inverse, et la spéculation évidemment fausse.

On ne peut pas parcourir et détailler toutes les positions différentes auxquelles ce calcul est applicable; on a cru qu'il suffisait d'indiquer une de celles où le joueur, contre qui l'on entreprend la grande bredouille, a un grand nombre de chances en sa faveur. La réflexion et l'expérience doivent guider chaque joueur dans toutes les occasions qui se présenteront de faire une juste application de cette démonstration.

Au surplus ce calcul réfute victorieusement cet axiome irréfléchi, trop universellement adopté, qu'on ne fait jamais faute en s'en allant; car certainement tout le monde conviendra, que dans le cas que nous venons d'exposer, ce serait une grande impéritie de s'en aller : enfin, on est toujours très répréhensible de ne pas tenir, avec une position qui offre un avantage bien supérieur à celui que donne la priorité du dé, lorsqu'on recommence un relevé.

Cas où l'on doit hasarder une tenue.

Il est encore d'autres circonstances où l'on peut, où l'on doit même hasarder une tenue incertaine, qui, dans toute autre position, serait jugée téméraire et inconsidérée. Si, par exemple, à la partie en douze trous, l'un des joueurs en avait déjà onze et l'autre deux ou trois seulement, ce dernier ne doit pas hésiter à hasarder une tenue qui présente des dangers, si elle offre en même temps un cer tain nombre de chances qui peuvent lui faire espérer le gain de la partie; car, s'il s'en va, l'inégalité de cette partie lui laisse un trop faible espoir; toute sa ressource est donc de se livrer à une chance qui peut amener une révolution favorable.

Cas où l'on doit être plus circonspect.

Par un motif contraire, celui qui est parvenu à onze trous, doit mettre dans sa tenue la plus grande circonspection; il ne doit pas exposer un si grand avantage aux hasards d'une chance et d'un coup de dé qui, quoique improbable, peut, dans un instant, convertir un gain presque certain en une perte inévitable.

Tenue de circonstance.

A la partie à écrire celui qui prend un trou, mais qui en s'en allant serait marqué, doit rester, si en restant il entrevoit quelqu'espoir, quoique très incertain et peu probable, d'atteindre son adversaire, et de faire un refait, ou même de marquer. Si néanmoins cette tenue était tellement périlleuse qu'elle dût entraîner à une enfilade qui augmenterait sa perte de dix à douze trous, la prudence exige qu'il s'en aille, et qu'il se résigne à une perte légère pour en éviter une plus grande.

Tenue de circonstance, quand on a le pavillon.

Lorsqu'un joueur qui a le pavillon s'en va, si son adversaire a le même nombre de trous que lui, il y a incontestablement refait; car c'est le nombre des trous qui détermine le marqué, et non la valeur différente que le pavillon attache à chaque trou. En s'en allant à nombre égal de trous, il perd l'avantage de son pavillon; d'où il résulte que, dans ce cas d'égalité de trous, celui qui a le pavillon se détermine souvent à faire une tenue incertaine que, dans tout autre cas, il n'eût pas cru devoir faire.

Tenir, quoique l'on donne deux trous à l'adversaire.

Il arrive quelquefois aussi qu'un joueur qui prend le trou, mais qui, par le même coup, en donne deux à son adversaire, se détermine néanmoins à rester, parce que sa position a un si grand avantage sur celle de l'adversaire, qu'il est assuré que ce sacrifice de deux trous sera plus que compensé par le bénéfice qu'il a droit d'attendre de cette position. A la partie à écrire, celui qui n'a plus qu'un trou pour arriver au marqué, ne doit pas hésiter en pareil cas à faire ce sacrifice de deux trous, lorsqu'il est assuré de prendre le suivant. Il en est même qui portent l'étendue de ce sacrifice jusqu'à celui du pavillon, préférant un marqué simple, mais certain, à un marqué double; mais incertain et éventuel.

Marquer quand on n'a pas le pavillon.

Lorsqu'un joueur prend un trou qui consomme le marqué, s'il n'a pas le pavillon, ou si l'ayant, la position des jeux ne lui présente aucun espoir d'arriver à la grande bredouille, il doit s'en aller, à moins qu'il ne soit évidemment certain de prendre le trou suivant, ou bien que le jeu de l'adversaire ne soit dans un tel état de ruine, que loin d'offrir aucun danger, il présente l'espoir au contraire de gagner encore un grand nombre de trous.

Cette prudence est surtout nécessaire, lorsque le jeu opposé est retardé et arriéré, parce qu'alors celui qui avait le marqué acquis serait lui-même exposé à être marqué, s'il lui survenait un ou plusieurs coups de dés contraires; et il éprouverait ainsi une perte égale, ou peut-être bien supérieure au gain qu'il a imprudemment compromis. Le bénéfice de quelques trous de plus ne peut compenser le dommage auquel exposerait un pareil revers; car, la différence d'être obligé de payer autant qu'on aurait pu et dû recevoir, il faut ajouter celle d'un postillon, et souvent même celle de la queue.

Il est néanmoins une circonstance où celui qui a le marqué peut hasarder une tenue incertaine, mais qui offre l'espoir très probable de prendre encore quelques trous; c'est lorsqu'au dernier marqué la fortune est tellement balancée entre l'un et l'autre joueur, que le gain de la queue ne dépend que d'un petit nombre de jetons qu'on peut espérer d'obtenir en tenant alors la différence de la perte au gain de cette queue peut être considérée comme une compensation des revers auxquels on s'expose.

S'en aller quand l'adversaire a une case et demie à faire.

Lorsqu'un joueur n'a plus qu'une case à faire pour achever son plein, et l'adversaire, au contraire , une case et demie, mais avec plusieurs dames disposées de manière que les unes et les autres aboutissent par quelques nombres directs, tant à la demi-case qu'à la case vide, si ce premier joueur amène un coup par lequel il prend le trou, mais sans pouvoir placer une dame dans sa case vide, il doit s'en aller; car il est probable que l'adversaire, vu la belle disposition de son jeu, pourra, le coup suivant, couvrir et mettre dedans, et obtiendra ainsi la priorité pour le plein, et par suite, les avantages attachés à cette priorité.

Insuffisance de vingt et un points à jouer pour se déterminer à tenir, et pour espérer de conserver trois coups.

Un grand nombre de joueurs qualifient de tenue de règle celle où, après avoir joué le coup par lequel ils obtiennent le trou, il leur reste encore vingt et un points à jouer avec leurs dames surnuméraires. Ils prétendent justifier cette tenue, parce que dans les trente-six combinaisons que donnent les dés réunis, il y en a vingt et une qui n'excèdent pas le nombre sept; qu'ainsi il est probable que trois coups consécutifs ne s'élèveront pas dans leur ensemble au delà de vingt et un points; que par conséquent, ils conserveront encore trois fois, et obtiendront ainsi le trou. Ce calcul, véritable dans sa base, et par-là même très spécieux, est néanmoins vicieux dans son application; car, en supposant que les points amenés par les trois coups réunis n'excèdent pas le nombre vingt et un, il est probable qu'on sera forcé de rompre au dernier de ces coups. Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de faire observer qu'il est extrêmement rare qu'on emploie utilement pour la conservation du plein tous les points qui peuvent être amenés.

Toujours ou au moins presque toujours, lorsqu'on est forcé de rompre, une certaine quantité de ces points se trouve inutile et sans emploi pour la conservation. Cet emploi dépend nécessairement de la nature des divers éléments qui composent un même point. Par exemple, la disposition des dames permettant de jouer un 5 et 2, on peut se trouver forcé de rompre par 4 et 3; de même que, pouvant jouer 5 et as, on sera forcé de rompre par 4 et 2 et par terne en sorte que dans le premier cas sept points deviendront inutiles, et six dans le second. On pourrait même présenter une position dans laquelle ayant douze points à jouer par les trois dames surnuméraires, on sera forcé de rompre par un point bien inférieur; c'est ce qui arriverait si, ayant les trois dames surnuméraires en sur-case à la septième flèche, on amenait un coup dans la composition duquel il entrerait un 5: ainsi, avec 5 et as on serait forcé de rompre, malgré les douze points deviendraient inutiles à la conservation. Il ne suffit donc pas de s'attacher au nombre, il faut encore avoir égard à la différence des éléments dont chaque nombre se trouve composé, car c'est cette différence qui rend un point ou favorable ou contraire à la conservation.

Pour rendre cette vérité plus sensible, nous l'appuierons d'un autre exemple où un joueur, ayant non-seulement vingt et un, mais même vingt-deux points à jouer avec ses dames surnuméraires, se trouvera néanmoins forcé de rompre au troisième coup, quoique les trois coups réunis ne s'élèvent dans leur ensemble qu'à vingt et un points. Supposons que ce joueur, dont le plein est achevé, a ses trois dames surnuméraires placées aux deuxième, quatrième et cinquième flèches, ce qui lui donne vingt-deux points à jouer; si ce joueur amène 6 et 4, il devra jouer le 6 en portant à la dixième flèche la dame placée à la quatrième, et il devra jouer le 4 en portant à la sixième flèche la dame de la deuxième. Si au second coup il amène 3 et 2, il devra le jouer en portant encore à la dixième flèche la dame placée sur la cinquième : ainsi il aura deux dames en sur-case à la dixième, et une à la sixième. Il reste six points à amener pour compléter les vingt et un points; mais si dans cette position ces six points arrivent par un 4 et 2, ou par un terne, il sera forcé de rompre, et les sept points qui lui restaient à jouer avec les dames surnuméraires deviendront inutiles à la conservation du plein.

Nous pourrions multiplier les exemples qui donnent le même résultat, en parcourant et en présentant successivement les différentes manières dont ces vingt et un points pourraient se composer mais nous pensons que ce seul exemple doit suffire pour mettre nos lecteurs à portée d'appliquer à d'autres cas la démonstration de cette vérité, et pour les détromper de l'erreur trop accréditée que nous combattons.

On nous objectera peut-être qu'outre la probabilité de tenir trois coups avec vingt et un points à jouer, on a encore la ressource d'être battu à faux par le premier coup de l'adversaire, ressource plus ou moins assurée d'après les différentes positions que présente le jeu de cet adversaire, et que dans ce cas, il suffirait, pour obtenir le trou, de conserver deux fois. Nous ne disconvenons pas que cette probabilité ne doive entrer en considération dans la détermination que prend le joueur de tenir, mais notre but est seulement de combattre le système de ceux qui prétendent qu'indépendamment de la chance d'être battu à faux, il est vraisemblable 'qu'avec vingt et un points à jouer, on tiendra trois coups consécutifs.

Quand on a six trous contre deux ou trois, mettre dedans.

Lorsqu'un joueur, sur le point de terminer son plein, a déjà six trous, et par conséquent le marqué, si son adversaire n'a encore que deux ou trois trous, ce joueur ne doit pas hésiter à mettre dedans, aussitôt qu'il en trouve l'occasion favorable; il ne doit pas se laisser intimider par le danger même apparent de perdre un ou deux trous. En négligeant l'occasion qui se présente, en temporisant et en retardant sa marche, il s'exposerait à compromettre un marqué presque assuré, mais qui cesserait de l'être, s'il se laissait précéder par son adversaire. La perte d'un ou deux trous doit être considérée comme nulle et insignifiante, lorsqu'elle tend à assurer un marqué.

Préférer les cases contigües aux cases alternes.

Lorsque, par la nature des dés que l'on a amenés et la disposition des dames, on a le choix entre plusieurs cases qui se présentent à faire, on doit, toutes choses égales, faire celles qui se trouvent contigues à d'autres cases, préférablement à celles qui sont alternes, parce que ces dernières offrent une position de jeu moins avantageuse. Ainsi, par exemple, si un joueur a son jeu formé de manière qu'il ne lui reste à remplir dans son grand jan que la huitième, la neuvième et la dixième flèches, et qu'il amène un coup qui lui donne l'option de faire soit la huitième, soit la neuvième case, il doit préférer la huitième, parce qu'elle est contiguë à la septième déjà faite, et que les deux flèches qu'il laisse vides sont également contiguës entre elles. Cette contigüité des flèches vides offre des moyens bien plus faciles pour les garnir les coups suivants; car les nombres pairs et les nombres impairs se trouveront nécessairement aboutir à l'une ou à l'autre. de ces flèches. Si, au contraire, il fait la neuvième case qui se trouve intermédiaire, il sera possible que la disposition des dames destinées à garnir ces cases soit telle, qu'elles n'aboutissent à l'une et à l'autre case que par les nombres pairs à l'exclusion des impairs, ou par les nombres impairs à l'exclusion des pairs. De là résulterait la ruine du jeu, și une série de plusieurs coups continuait à donner les nombres contraires. Ce précepte néanmoins, comme tous les autres, n'est pas tellement absolu qu'il n'admette des exceptions; et il peut arriver que, pour des raisons prépondérantes, on se trouve obligé de préférer la case alterne, soit pour éviter de donner le coup complet, soit pour se faire battre à faux par l'adversaire, soit enfin par d'autres motifs déterminants.

Abus qui résulte souvent de ce qu'on se réserve le point de 7, en se privant des points directs.

Il y a des joueurs qui, n'ayant plus pour parvenir à achever leur plein qu'une demi-case à couvrir dans leur grand jan, s'attachent superstitieusement à se réserver le point de 7, parce que, de tous les points que les deux dés amènent, il n'en est pas qui offrent un plus grand nombre de chances. Leur principe est très bon; mais l'application en est souvent fausse, parce que, dans ce cas comme dans tous les autres, elle est subordonnée aux circonstances et aux diverses positions.

Si, pour se réserver le point de 7, qui offre six chances, le joueur se prive d'un dé direct qui lui en donne davantage, il a évidemment tort: un exemple fera mieux connaître cette vérité.

On suppose que le joueur à qui il ne reste à couvrir qu'une dame placée à la septième flèche, ait une dame à la sixième, deux à la cinquième et la dernière au talon, si ce joueur amène terne, et que, pour ne pas se priver du point de 7, il joue tout d'une le terne avec une des dames placées à la 'cinquième flèche, il commet une erreur qui lui est très préjudiciable. Car, en jouant au contraire un 3 avec la dame qui est au talon, et l'autre avec une des dames de la cinquième flèche, il a, pour remplir, un 4 direct qui lui donne cinq chances de plus, sans se priver d'aucune des chances du nombre 7; puisqu'ayant un 4, un 2 et un as directs, il a tous les points élémentaires qui entrent dans la composition du nombre 7, lequel ne peut jamais arriver sans l'un de ces trois nombres.

Ne pas donner le dé complet.

Lorsqu'un joueur à son jeu dans un tel état de ruine, qu'il n'offre plus aucune ressource, son adversaire ne saurait mettre trop de prudence et de circonspection dans sa manière de jouer, pour ne pas donner à ce joueur une ressource qui n'existe plus dans son jeu. Cet adversaire doit donc se borner à une exacte et rigoureuse défensive; et, lorsque la nature des coups le force à exposer quelques dames à être battues, il doit surtout éviter de donner un coup complet qui, en donnant le trou, anéantirait les espérances les plus apparentes.

Quand on a huit points, éviter d'être battu à faux.

Lorsqu'un joueur a huit points, mais avec un jeu bien inférieur à celui de l'adversaire, il doit éviter avec le plus grand soin d'être battu à faux; car s'il l'était, l'adversaire, qui ne serait plus entravé dans sa marche par la crainte de ces huit points, s'exposerait à perdre quelques points pour arriver plus promptement à son plein, et pourrait profiter ainsi de tout l'avantage de sa position. Si au contraire on le tient longtemps sous l'échec de ces huit points, on le force le plus souvent à user et ruiner tout-à-fait son jeu, s'il n'a pas la prudence, en faisant le sacrifice du trou, de prévenir cette ruine avant qu'elle soit consommée.

Quand il convient de se faire battre à faux.

Si cependant le premier, celui qui a huit points et un très beau jeu, se trouvait exposé à la crainte d'une grande bredouille, il pourrait, il devrait même chercher à être battu à faux, afin d'écarter au moins le danger d'une perte plus considérable.

Quand il faut défendre le trou ou l'abandonner.

Lorsque les deux joueurs ont chacun huit points, et aspirent l'un et l'autre à prendre le trou, ils se tiennent réciproquement sur la défensive, évitant de s'exposer à être battus pour ne pas perdre le trou. Quand cette lutte arrive à son terme, et qu'on ne pourrait la prolonger sans courir un danger imminent, c'est à celui dont le jeu est le plus avancé à céder, et à faire le sacrifice du trou. Si cependant, pour l'un comme pour l'autre, les quatre points qui restent à prendre consommaient le marqué, et qu'aucun des deux n'eût le pavillon, on pourrait sans inconvénient prolonger la défense: sauf à perdre quelques trous de plus en cas de non succès.

Revirade des doublets.

Un grand nombre de joueurs, lorsqu'ils amènent un petit doublet, préfèrent, au lieu de mettre ce doublet à bas, de le jouer avec une des cases de leur grand jan, en poussant cette case à une flèche plus éloignée. Ils se persuadent sans doute qu'ils avancent leur jeu par ce moyen, les cases qui leur restent à faire étant moins éloignées de la pile; mais s'ils sont déterminés par ce motif, ils sont dans une grande erreur. Ils renoncent par-là à un avantage bien utile et bien précieux, celui de gar nir, autant que possible, les flèches du petit jan, afin de se trouver en mesure de jouer les coups qui surviendront de la manière la plus convenable à l'arrangement de leur jeu, et de n'être pas commandés par la nécessité : ce qui arrive fréquemment lorsque le petit jan est dégarni de dames. Cette vérité est si bien connue, que tout joueur habile et prudent, lorsqu'il n'a dans son petit jan que deux dames avec lesquelles il pourrait faire case dans le grand jan, préfère souvent à l'avantage de cette case, celui de mettre deux dames à bas, afin de se donner un plus grand nombre de chances utiles pour les coups suivants. Il faut donc user très rare- ment de cette espèce de revirade par doublet, sauf dans certaines positions telles que celle où, n'ayant plus qu'une flèche vide dans le grand jan, on amènerait un doublet qui la remplirait, en portant à cette case les deux dames qui sont à la sixième; ou bien lorsque, craignant d'être battu à vrai dans le petit jan, et ayant au contraire intérêt de l'être à faux, on diminuerait, en faisant une pareille revirade, le nombre des chances pour le premier cas, et on les augmenterait au contraire pour le second.

Passer une dame dans le jan opposé, pour ne pas serrer son jeu.

Lorsqu'une série de plusieurs dés contraires a rendu la position d'un joueur tellement périlleuse que son jeu est menacé d'une ruine prochaine, si ce joueur amène un coup par lequel il puisse passer une dame dans le petit jan de l'adversaire, c'est un avantage qu'il doit saisir avec empressement. Car, en jouant dans son propre jeu, il absorberait entièrement le peu de ressource qui lui reste; en passant, au contraire, dans le jeu de l'adversaire, il se réserve des moyens pour jouer plus avantageusement les coups qui suivront. Il expose, à la vérité, cette dame à être battue; mais elle peut battre pareillement celles qui se trouvent en demi-case dans le jan de l'adversaire; elle peut gêner, entraver la conduite et la marche de son jeu : enfin quels que soient les inconvénients auxquels on s'expose en passant cette dame, ils disparaissent lorsqu'il s'agit d'éviter une enfilade et la ruine totale du jeu.

Ne pas s'exposer inutilement à perdre deux trous de plus.

Bien des joueurs commettent une faute qui, quoique le fruit de l'irréflexion plus que de l'impéritie, est néanmoins très grave et très importante, parce qu'elle les expose à une perte de deux trous qu'ils auraient pu éviter. L'exposé du cas suivant servira d'exemple.

Un joueur dont le plein est terminé, et qui est parvenu à huit points, a dans son petit jan des dames exposées à être battues à faux: il prend le parti prudent de les couvrir, afin d'éviter qu'en lui donnant le trou, on ne le force à tenir. Cette marche annonce de sa part une détermination bien décidée de s'en aller. Néanmoins malgré cette détermination connue, les joueurs dont nous parlons ont souvent l'imprudence d'exposer des dames en demi-case, tant dans leur grand jan que dans leur petit jan, et courent ainsi le risque de perdre deux trous de plus, sans que ce danger soit compensé par aucun avantage. Cette faute devient plus grave lorsque ces trous terminent le marqué.

Est-il avantageux d'abandonner à son adversaire le premier trou de chaque relevé?

C'est une opinion assez généralement adoptée par les joueurs de trictrac, que le premier trou d'un relevé est peu important, et ils ne craignent pas de s'exposer à le perdre, pour peu que ce sacrifice soit compensé par quelque avantage, tel que celui d'avancer leur jeu ou de se donner une position favorable. Il en est même qui portent cette indifférence jusqu'à offrir à leur adversaire de lui abandonner le premier trou à chaque relevé; ils fondent leur spéculation sur l'avantage bien reconnu et bien certain d'avoir le pavillon au premier trou qu'ils gagnent, et par conséquent,de n'avoir plus à craindre la grande bredouille. Ont-ils raison, ont-ils tort? Cette question a souvent été discutée, et de part et d'autre on allègue, à l'appui du système qu'on défend, des raisons spécieuses. Les uns (les partisans de l'abandon du trou) disent que celui qui prend le premier trou est entravé dans sa marche par une double crainte, celle de perdre la bredouille, et en la perdant de la donner à l'adversaire. Tant que cette crainte existe, il est nécessairement gêné dans ses déterminations; il n'ose pas prendre telle position qui lui serait avantageuse, mais qui l'exposerait, en perdant le trou, à perdre en même temps la bredouille qui passerait à l'adversaire. Cet adversaire, au contraire, s'avance avec plus d'intrépidité, est bien plus libre dans sa marche, parce que s'il s'expose à perdre le trou, ce trou n'est qu'un pas de plus vers le marqué, mais ne change en aucune manière, quant à la bredouille, l'état respectif de la partie. Si, au lieu de perdre le trou comme il s'y est exposé, il le gagne, il acquiert le double avantage de n'avoir plus à craindre la grande bredouille, ni même la petite, et de tenir son adversaire sous l'échec de cette appréhension. De plus, on ajoute que si celui qui a cédé le trou en prend un qui lui donne la bredouille, et que l'adversaire lui ôte cette bredouille par un trou qu'il prend subséquemment, cet adversaire se trouve privé lui-même de la bredouille qui lui aurait été acquise, s'il n'eût pas reçu le premier trou.

A ces raisons, on oppose l'avantage bien important de n'avoir besoin que de cinq trous pour arriver au marqué, soit simple, soit en bredouille, pendant qu'il en faut six à l'adversaire : et cet avantage est bien réel, puisqu'il n'est pas rare de voir un joueur marqué après avoir pris les cinq premiers trous. Or, ce même joueur eût marqué en bredouille, dans l'hypothèse où il lui aurait été fait avantage d'un trou.

S'il fallait établir sur cette question singulière et assez épineuse un jugement positif, il paraît constant que la cession du trou est plus onéreuse qu'utile au cédant.