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Chapitre X. Le coin de repos.

L'EXPÉRIENCE, d'accord avec les principes, prouve combien il est important de se préparer les moyens de prendre son coin promptement, et surtout d'obtenir à cet égard la priorité sur son adversaire. Les succès d'un côté, les revers de l'autre, dépendent le plus souvent de ce point si essentiel. Le joueur qui parvient le premier à prendre son coin, joint à l'avantage de battre le coin de son adversaire, celui de le priver d'un grand nombre de moyens pour prendre le sien, puisqu'il lui ôte le privilège de la puissance. Il le gêne en outre dans la marche et la conduite de son jeu, par la crainte que doit lui inspirer un moyen de battre aussi rapproché, et qui peut atteindre toutes les dames exposées en demi case.

Toutes ces considérations prouvent que la principale spéculation qui doit fixer l'attention d'un joueur, au commencement d'un relevé, c'est la prise du coin; qu'il doit d'abord se diriger vers ce but essentiel, et ne rien négliger pour l'atteindre, à moins que la nature des premiers points ne lui interdise cette spéculation, en lui indiquant et lui commandant, pour ainsi dire, celle du petit jan.

Multiplier les chances favorables à la prise du coin. On doit donc, dès le commencement d'un relevé, disposer ses dames de manière à se procurer le plus grand nombre possible de chances pour prendre le coin, soit naturellement, soit par puissance. Ainsi, à moins que le jeu de l'adversaire ne présente une apparence favorable de petit jan, on doit moins s'occuper, dans l'arrangement et la disposition de ses dames, de chercher à battre celles qu'il pourrait exposer, que de multiplier les chances utiles à la prise du coin.

Au lieu de faire une case dans le grand jan, étaler les deux dames en demi-case. Pour y réussir, il faut, lorsqu'on le peut, entrer dès le second coup, dans le grand jan, les deux dames avec lesquelles on a joué le premier coup; et, au lieu de faire, avec ces deux dames, une case dans le grand jan, si le coup en donne la possibilité, on doit préférer de les étaler l'une et l'autre en demi-case, et à la distance, lorsque le coup amené le permet, d'une ou deux flèches entre elles. Un exemple démontrera l'utilité de ce précepte. Supposons qu'un joueur ait amené au premier coup 5 et 4, qu'il a mis à bas, et qu'au second coup il amène 4 et 3'; si avec ce 4 et 3 il fait case à la huitième flèche, il n'aura de coup suivant que deux chances pour prendre son coin, savoir: terne pour le prendre naturellement, et carme pour le prendre par puissance. Mais ši, au lieu de faire la case, il joue le 4 en portant à la neuvième flèche la dame placée au coin bourgeois, et à la septième la dame placée à la quatrième, il aura deux chances pour prendre son coin naturellement, savoir 4 et 2, et deux autres pour le prendre par puissance, savoir, 5 et 3.

Ne pas les placer contiguës. Si ce joueur, au lieu d'amener 4 et 3, eût amené 4 et 2 il aurait pu étaler ses deux dames dans le grand jan de deux manières différentes, ou en portant à la septième flèche la dame du coin bourgeois, et à la huitième celle de la quatrième, mais alors elles se trouveraient contiguës; ou bien en portant à la neuvième flèche la dame du coin bourgeois, et à la sixième celle de la quatrième. Cette dernière disposition des dames est préférable, quoique l'une et l'autre donnent le même nombre de chances pour prendre le coin; car par la première, où la contigüité a lieu entre les deux dames, le joueur n'aurait pour battre les deux coins que trois chances, savoir: carme, et 5 et 3, et par la seconde il en aurait quatre, savoir: 5 et, 3, et 6 et 2; d'où il résulte que si la contiguité des dames est indifférente pour la prise du coin, lorsqu'elles ne sont qu'au nombre de deux, elle est moins avantageuse pour battre les deux coins. De cette démonstration il résulte encore qu'une dame placée au coin bourgeois avec une autre placée dans le grand jan ne donnent pas une position aussi favorable, soit pour prendre le coin, soit pour battre les deux coins, que lorsqu'elles sont toutes deux entrées dans le grand jan. Car, d'un côté, celle placée au coin bourgeois, ne pouvant atteindre par un point direct au coin de l'adversaire, elle n'est d'aucune utilité pour user du privilège de la puissance; d'un autre côté, par la même raison, elle ne peut augmenter le nombre des chances qui battent les deux coins. Une dernière et importante conséquence de cette démonstration, c'est que deux dames entrées au second coup, dans le grand jan, et séparées par l'intervalle d'une ou de plusieurs flèches, donnent pour le coup suivant huit chances utiles, savoir: quatre pour prendre le coin, et quatre pour battre les deux coins.

En exposant ainsi deux dames et même trois en demi-case, pour hâter la prise du coin, on ne doit point être intimidé par la crainte de perdre deux ou quatre points: une perte aussi légère ne peut aucunement balancer les grands avantages que promet et réalise presque toujours la priorité à laquelle on aspire.

On doit même, en exposant trois dames en demi case, avoir l'attention d'éviter, autant qu'on le peut, la contigüité de ces dames, parce que cette contigüité offre moins de chances pour la prise du coin, lorsqu'il y a lieu à le prendre par puissance.

Si cependant la nature des points qui se succèdent s'oppose au succès d'une tentative aussi sagement préparée, si la prise du coin se retarde, si l'adversaire même obtient la priorité, on ne doit pas pour cela perdre de vue cet objet essentiel : la conduite, la disposition du jeu doivent toujours tendre à faciliter cette prisé, et à s'en procurer de nombreux moyens, sans pourtant s'exposer avec trop de témérité.

Avantage des cinquième et sixième cases quand on n'a pas son coin. Une précaution, entre autres, qu'on ne doit pas négliger, c'est de tenir, autant qu'il est possible, le coin bourgeois garni d'une case; parce que cette case aboutissant au coin par le nombre direct 6, si ce nombre survient et se répète dans les coups qui se succèdent, on n'est pas obligé de surcharger les cases du grand jan, et d'y entasser des dames; mais on multiplie au contraire les chances utiles à la prise du coin.

Dames surnuméraires sur les premières flèches du grand jan. Outre l'occupation du coin bourgeois, il est en core avantageux d'avoir une dame en sur-case sur une des premières flèches du grand jan, parce que, si les points amenés le permettent, on peut prendre le coin en ne découvrant qu'une seule dame; et il est rare, à moins d'une extrême urgence, qu'on se détermine à le prendre, lorsque pour y arriver, il en faut découvrir deux.

Au surplus la conduite du joueur, dans la disposition de ses dames, doit dépendre de l'état du jeu de son adversaire et de sa propre position. Pour arriver le premier au coin, et se donner pour y parvenir un plus grand nombre de chances, il ne doit pas s'exposer témérairement à la perte du trou, et peut-être à celle du marqué : la prudence doit toujours le diriger.

Pour connaître le nombre des chances qu'on a, ou pour prendre son coin ou pour battre celui de l'adversaire, on doit consulter la méthode qui y est relative, faisant partie de celles placées à la suite de l'analyse des dés.