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Section 3

XII. Différents genres de parties — partie en douze trous - partie à écrire

12.1 Partie en douze trous

217. Différences entre ces deux parties.

La partie de trictrac se joue soit en douze trous, soit à écrire. À l'une comme à l'autre partie, les règles et les lois sont les mêmes; mais il en est autrement de la conduite du jeu, qui diffère essentiellement en beaucoup de circonstances. La partie à . écrire offre un intérêt plus grand et plus varié, des positions plus critiques, des dangers plus graves, des combinaisons plus compliquées ; les fautes y ont des suites plus funestes, les vicissitudes y ont un caractère plus important dans leurs résultats. Tel coup qui, à la partie en douze trous, doit se jouer de telle manière, veut l'être de telle autre à la partie à écrire telle tenue qui est bonne à Tune ne vaut rien à l'autre. La partie en douze trous peut se gagner et se terminer par les points que l'adversaire donne en battant à faux; ce qui n'arrive pas à la partie à écrire, où l'on ne peut s'en aller que lorsque l'on gagne le trou par un de ses coups. A la partie en douze trous, on pourra, dans certaines positions, défendre avec persévérance un trou qu'on doit céder et abandonner à la partie à écrire, pour ne pas s'exposer à un danger plus grave.

Par ces motifs, on s'attachera dans ce traité uniquement à la partie à écrire, et les conseils qu'on y donnera seront tous principalement applicables à cette partie.

Car on sent, d'après cet exposé, que celui qui est capable de bien jouer la partie à écrire le sera, à plus forte raison, de bien jouer la partie en douze trous, et que, familiarisé avec des combinaisons plus compliquées, on ne peut être arrêté ni embarrassé par des combinaisons plus simples.

218. Partie en douze trous.

La manière la plus simple est celle où la partie est terminée et le prix convenu acquis à celui qui arrive le premier à douze trous. On peut la jouer avec la bredouille, ou double.

219. Partie à la poule.

Cette partie se joue très rarement, entre trois, quatre ou cinq joueurs, qui conviennent du nombre de trous nécessaire pour gagner.

12.2 Partie a écrire

220. Partie à écrire. Marqué.

La partie à écrire est ainsi appelée parce qu'elle consiste en un certain nombre de parties que l'on écrit sur un papier avec un crayon (233), ou que l'on marque avec des jetons et des fiches, ce qui est le plus ordinaire. Chaque partie se nomme un marqué. Le nombre des marqués est celui dont les joueurs conviennent. Il est toujours un nombre pair 4, 6, 8.

221. Marqué terminé.

Chaque marqué est terminé toutes les fois qu'un joueur s'en va, et que l'un ou l'autre joueur a au moins six trous. Celui qui a alors le plus de trous a l'avantage, et l'on dit qu'il marque, qu'il gagne le marqué.

On calcule la valeur du marqué, puis on en recommence un autre, pour lequel la primauté appartient à celui qui vient de marquer. En commençant, la primauté est déterminée comme on l'a vu au n°28.

222. Calcul du marqué. Consolation. Paiement.

Au nombre de trous du gagnant on ajoute 2, ce qu'on nomme la consolation; de cette somme on retranche le nombre de trous du perdant : le reste est la valeur du marqué. On le paie tout de suite avec des jetons, et des fiches si c'est nécessaire : une fiche vaut dix jetons. Chaque joueur prend vingt jetons, et les place hors du tablier près de son talon. Si l'on a huit trous, l'adversaire neuf, on dit neuf et deux de consolation font onze; onze moins huit donnent pour reste trois, qui est la valeur du marqué : c'est le plus petit possible, le plus grand n'a pas de limite.

223. Marqué bredouille. Pavillon.

On a vu (n° 143) que, si l'on arrive à douze points sans être interrompu par des points de l'adversaire, on est en bredouille : on d'ouble les points, en doublant le trou. De même, si les trous de celui qui gagne le marqué ont été pris sans être interrompus par aucun de l'adversaire, on double le nombre de ces trous augmenté de la consolation, avant d'en retrancher le nombre de trous de l'adversaire. Si l'on a pris huit trous de suite, et que l'adversaire en ait pris ensuite neuf, on dit : neuf et deux font onze, onze fois deux font vingt-deux, vingt-deux moins huit donnent pour reste quatorze, valeur du marqué. Cette valeur diffère bien de trois, qui est celle du marqué simple, dont les trous ont été pris avec interruption.

On indique la non-interruption des trous au moyen du pavillon placé dans le trou où était d'a bord le fichet; lorsque le pavillon est au milieu de la bande, cela signifie qu'un seul joueur a des trous ou bien que les deux joueurs sont débredouillés.

224. Petite et grande bredouille.

Si l'on a plus de six trous avec la bredouille, on double le nombre de trous du gagnant après y avoir ajouté deux. On a fait une autre convention : Si le gagnant a plus de onze trous avec le pavillon, à son nombre de trous on ajoute deux; on quadruple cette somme, puis du produit on retranche le nombre de trous de l'adversaire : le reste est la valeur du marqué. Pour distinguer ces deux marqués, on dit : Marqué en grande bredouille, marqué en petite bredouille. Si l'on a dix-huit trous avec le pavillon et l'adversaire six, on dit: dix-huit et deux font vingt, quatre fois vingt font quatre-vingts, quatre-vingts moins six donnent pour reste soixante-quatorze, valeur du marqué. Sans pavillon c'eût été dix-huit plus deux, vingt, vingt moins six, quatorze, au lieu de soixante-quatorze.

L'adversaire ayant six trous, comparez les marqués en bredouille avec onze trous ou douze trous. Le premier donne onze plus deux, treize ; treize fois deux, vingt-six ; vingt-six moins six, vingt. Avec le deuxième on a douze plus deux, quatorze; quatre fois quatorze, cinquante-six; cinquante-six moins six, cinquante: ainsi un trou de plus ajoute trente, ou trois fiches.

225. Douze trous de suite, sans pavillon.

Douze points de suite peuvent ne donner qu'un trou (cf. n° 146) ; il en est de même ici, excepté qu'on ne rentre pas en bredouille (cf. n° 147). Par exemple on a deux trous, l'adversaire en prend cinq ; on en prend seize autres; on n'a pas le pavillon; on dit: dix-huit plus deux font vingt, vingt moins cinq donnent pour reste quinze.

226. Refait.

Si, lorsqu'on s'en va, les deux joueurs ont un nombre égal de trous, et si ce nombre est au moins six, avec ou sans bredouille, le marqué est nul, il y a refait. On recommence, et celui qui avait la primauté la conserve. Le marqué se calcule comme les autres, excepté la consolation, qui est quatre au lieu de deux. S'il y a deux refaits de suite, la consolation est six.

227. Nombre des marqués. Postillons.

Celui qui est marqué, outre le paiement qu'il fait avec ses jetons placés près de son talon, met un ou deux jetons près de son coin, pour indiquer le nombre de marqués qu'il a perdus, et pour compter les postillons. On appelle ainsi tout marqué qui excède la moitié que doit avoir chaque joueur. Si l'on joue quatre, six, huit, dix marqués, les postillons sont ceux au delà de deux, trois, quatre, cinq. On paie pour le premier vingt-huit jetons, huit pour chacun des autres.

228. Jetons des marqués. Paiement des postillons.

Les jetons pour compter les marqués appartiennent à celui qui, à la fin de la partie et avant le paiement des postillons, a le plus de jetons. On paie ensuite ce qui est dû pour les postillons. Si à la fin de la partie le nombre des jetons est égal, les jetons placés aux marqués se partagent.

229. La queue.

Il est d'usage de jouer une queue, c'est-à-dire une rétribution quelconque dont on convient, au profit de celui qui, après les postillons payés, se trouve gagner définitivement.

230. Pour cinq jetons, une fiche.

Si le prix de la fiche est modique, on compte cinq jetons pour une fiche en faveur du gagnant.

231. Perte d'un joueur.

La perte d'un joueur se compose : 10 des fiches qu'il a données à l'adVersaire pour le paiement des marqués et qui n'ont point été remises dans le panier, 2° de ce qu'il doit pour les postillons, 3° de ce qu'il lui manque de ses vingt jetons, et 4° enfin de la queue.

232. Compter ses jetons sur la fin.

Lorsqu'on est sur la fin, il faut savoir à un jeton près quelle est la différence de la perte au gain. Par la même raison que le joueur a intérêt à le savoir, il doit éviter de le faire remarquer à l'adversaire. Cela est utile non seulement pour la queue, mais encore parce qu'un trou fait un jeton, et " qu'un jeton fait souvent une fiche. Cet examen fournit aussi un motif déterminant pour rester ou pour s'en aller : car, d'une part, si les trous qu'on a droit d'espérer, et dont le gain n'offre presque aucune incertitude, ne changent rien à l'état de la partie, s'ils ne peuvent rien ajouter au bénéfice acquis, on doit s'en aller. Mais d'un autre côté, si un ou deux trous qu'on peut encore obtenir font la différence de la queue, cette différence suffit quelquefois pour déterminer à hasarder une tenue un peu incertaine, et même qui compromet le marqué, parce que la perte à laquelle on s'expose est compensée par l'espoir d'un bénéfice plus considérable. En pareille circonstance, le choix dépend de la justesse du calcul. Cependant si l'on craint le postillon, il ne faut pas exposer le marqué; après la grande bredouille, le postillon est le grand épouvantail.

233. Papier et crayon.

On a vu (cf. n° 220) que l'on peut avec un papier et un crayon noter les marqués que perd chaque joueur. Cette méthode est plus facile et plus courte que l'autre. On écrit sous le nom de chaque joueur le nombre dont il est marqué, la valeur du marqué qu'il perd. Lorsque le papier fait voir que l'on a terminé le nombre convenu-de marqués, on connait s'il y a des postillons; au compte de celui qui les a on ajoute vingt-huit pour le premier, et huit pour chacun des autres; ensuite on fait l'addition pour chaque colonne, et l'on retranche la plus petite somme de l'autre. Au reste on ajoute le nombre de jetons on de fiches dont on est convenu en commençant, et qu'on appelle la queue. Les dizaines sont des fiches, cinq unités valent une fiche.

234. Gagner avec plus de marqués.

Cela a lieu si l'on perd des marqués faibles, comme trois, cinq, six, quatre, sept, quatre, trois, et si l'adversaire en a de très forts, vingt-sept, quinze, trente-huit. En effet, les sept marqués augmentés de vingt-huit et huit donnent soixante-huit, et les trois autres quatre-vingts. Celui qui est postillonné gagne néanmoins. La perte est douze, une fiche. Si l'on applique à cet exemple l'autre méthode, on trouve deux fiches de perte : cela tient au gain des jetons des marqués. La queue des jetons augmente le gain d'une fiche.

235. Résultats des deux méthodes.

On a pour marqués dix-neuf, soixante-neuf ; l'adversaire a cinquante et un, quatorze, cinq, sept, et un postillon, vingt-huit. On doit dix-neuf plus soixante-neuf, ou quatre-vingt-huit; l'adversaire doit cinquante et un, quatorze, cinq, sept, vingt-huit, ou cent cinq. Il perd cent cinq moins quatre-vingt-huit, ou dix-sept, deux fiches. Avec l'autre méthode, si c'est un jeton par marqué, on n'en a que deux à retrancher de dix-sept : il reste quinze, deux fiches. Si l'on met deux jetons par marqué, cela fait quatre jetons à retrancher de dix-sept : il reste treize, une fiche. Dans ce cas, la queue des jetons diminue d'une fiche le gain.

236. Gagner au lieu de perdre.

On a les marqués dix-neuf, soixante-neuf, quinze, dont la somme est cent trois; l'adversaire a cinquante et un, quatorze, cinq, sept, trois, et un postillon, vingt-huit : la somme est cent huit. Il perd cent huit moins cent trois, cinq, une fiche ; si la queue est une fiche, il perd deux fiches. Avec un jeton par marqué, il ne perd que deux jetons et une fiche de queue. Avec deux jetons par marqué, il gagne un jeton, et par conséquent la queue, une fiche. Si le dernier marqué est quatorze, au lieu de quinze, avec deux jetons par marqué, il n'y aura ni gain ni perte ; avec le papier et le crayon, l'adversaire perdrait un jeton de plus, six au lieu de cinq; avec la queue, ce serait deux fiches avec le papier, et rien avec les jetons.

237. Un trou fait une fiche.

On a pour marqués cinquante et un, quatorze, cinq, sept ; l'adversaire a dix-neuf, soixante-neuf, trente-trois, treize. On note chaque marqué avec deux jetons ; après le septième, il n'a plus ni fiche ni jeton, on a trois fiches et vingt-six jetons. Il perd le huitième marqué, il donne deux fiches, ce qui en fait sept en comptant les deux pour les quarante jetons qu'on a ; on en rend sept à l'adversaire, qui en met deux pour noter le huitième marqué; il lui en reste cinq, qui n'ont aucune valeur. Si le huitième marqué était douze au lieu de treize, on lui rendrait huit jetons, et après en avoir mis deux, il lui en resterait six, qui valent une fiche ; il n'en perdrait que six au lieu de sept. Cette différence d',unè fiche pour un trou n'a point lieu dans la méthode par le papier et le crayon: on perd soixante-dix-sept ; l'adversaire perd cent trente-quatre ; la différence ou la perte est cinquante-sept, et en retranchant un, cela fait cinquante-six, toujours six fiches.

12.3 Différentes manières de jouer la partie a écrire

238. Nombre des joueurs.

La partie en douze trous n'admet que deux personnes; celle à écrire peut en avoir trois, quatre et môme cinq. A cinq joueurs, on se met deux contre trois; en six marqués, deux en jouent chacun trois, les autres chacun deux.

239. A quatre joueurs, deux contre deux.

La société se forme entre deux joueurs contre les autres. Pour la former, on se choisit, ou bien on jette un dé sur un cornet renversé, et les deux joueurs qui ont les nombres les plus grands sont ensemble ; on peut aussi jouer les deux dés comme un coup ordinaire, et ceux qui ont les sommes les plus grandes sont associés. Les intérêts sont communs entre eux. Celui qui ne joue pas a le droit de conseiller celui qui joue, de délibérer avec lui sur la manière de jouer chaque coup, de l'avertir des points à marquer ; mais il ne doit toucher ni aux dames, ni aux jetons ; l'exécution appartient exclusivement à celui qui joue les dés.

240. Commencement du jeu.

Le sort des dés décide lesquels des joueurs commenceront, comme on vient de le dire.

241. Primauté. Ordre des joueurs.

A ce premier marqué on tire la primauté; aux marqués suivants elle appartient à celui qui reste. Les joueurs alternent entre eux à chaque marqué : au premier, celui qui a marqué se retire et est remplacé par son associé ; de manière que, pendant tout le reste de la partie, chaque joueur se retire après avoir joué deux marqués, sauf le dernier marqué, où celui qui, au commencement, Savait joué qu'un marqué, termine la partie en jouant le dernier.

242. Chouette. Trois joueurs, un contre deux.

Lorsque l'on veut jouer à trois, deux des joueurs s'associent contre l'autre, qu'on appelle la chouette. Ce dernier a la primauté en commençant ; ensuite elle est alternative. Les deux associés tirent à qui jouera le premier. Ils jouent chacun deux marqués, dans le premier desquels la chouette a la primauté. Cette partie est utile si l'on est trois, surtout lorsqu'un des trois joueurs est plus fort que les autres. Comme dans la partie à quatre, celui qui ne joue pas a le droit de conseiller l'autre, de délibérer avec lui sur la manière de jouer chaque coup, de l'avertir des points à marquer, mais sans toucher ni aux dames ni aux jetons. Si, sur des coups difficiles, les deux associés ont des sentiments opposés, celui qui joue a le droit de décider.

12.4 Partie a tourner

243. Trois joueurs, chacun pour soi. Objets nécessaires. Conventions.

Ce genre de partie s'appelle partie à tourner. Chacun joue pour son compte sans aucune association. Chaque joueur a vingt jetons et un panier de fiches. Les fiches de chacun sont de couleurs différentes. La partie se joue en neuf, douze, quinze marqués, pour que ce nombre soit divisible par trois. On convient de trois places différentes pour placer les jetons qui indiquent les marqués ; chacune de ces places doit être spécialement affectée à chaque joueur, qui y dépose deux jetons toutes les fois qu'il est marqué.

244. Ordre des joueurs.

On décide par le sort quels sont les deux joueurs qui joueront le premier marqué ; le nombre le plus grand donne la primauté pour ce marqué ; pour les suivants elle appartient à celui qui reste. Celui qui est marqué le premier se retire et est remplacé par l'autre joueur.

245. Paiements.

Ils sont les mêmes qu'aux autres parties, si ce n'est que celui qui est marqué, outre la consolation qu'il paie à l'adversaire, en paie une égale à celui qui ne joue pas, c'est-à-dire deux, quatre, huit jetons, selon la nature du marqué ; et en cas de refait, cette consolation suit en sa faveur la même progression que pour le joueur actif.

246. Postillons.

Le prix des postillons est le même qu'aux autres parties, mais avec cette différence qu'il est possible qu'un même joueur en gagne deux de vingt-huit, ou qu'un autre joueur en paie deux de vingt-huit. En supposant que la partie soit en douze marqués, ce qui fait quatre pour le contingent de chaque joueur, il peut arriver qu'un des joueurs soit marqué six fois, et que chacun des autres ne le soit que trois fois ; alors chacun de ces derniers gagne évidemment un premier postillon, et celui qui se trouve marqué six fois doit par conséquent payer à chacun vingt-huit jetons.

Il en serait autrement si l'un des joueurs était marqué six fois, un autre quatre, et le troisième deux seulement, parce que, dans ce cas, les deux postillons appartenant à un seul joueur, le paiement suivrait la progression ordinaire.

Mais si deux joueurs étaient marqués cinq fois et l'autre deux, alors chacun des joueurs marqués cinq fois devrait un postillon de vingt-huit jetons. Dans le premier de ces trois exemples, un même joueur perd deux postillons de vingt-huit jetons, et dans le dernier, au contraire, un même joueur en gagne deux.

247. Queue et postillons.

L'ordre et la règle relatifs au paiement des queues et des postillons sont les mêmes qu'à l'autre partie : ainsi la queue des jetons appartient à celui qui, avant le paiement des pbstillons, se trouve avoir plus de jetons que les autres, et la queue définitive à celui qui, après le paiement des postillons, se trouve avoir le plus grand gain ; chacun des joueurs lui paie le nombre de fiches convenu.

248. Droit de conseil.

Le joueur vacant a le droit de conseiller celui des deux joueurs dont le succès se trouve utile à son propre intérêt ; par conséquent, si l'un des joueurs se trouve menacé de la grande bredouille, ce joueur vacant a presque toujours^intérêt de conseiller celui qui en est menacé : car le bénéfice que donne une grande bredouille établit une inégalité importante entre les fortunes respectives, et élève un trop grand obstacle aux prétentions que chacun a au gain de la queue. Si cependant le joueur menacé de la grande bredouille avait déjà un bénéfice très considérable, alors l'intérêt commun étant d'affaiblir ce bénéfice pour rétablir l'équilibre dans les fortunes, celui qui ne joue pas devrait conseiller celui qui entreprend la grande bredouille. Par la même raison, si le joueur vacant est marqué six foix, un autre trois fois, et le troisième deux fois, il doit conseiller celui qui n'est marqué que deux fois, parce qu'il a intérêt à ce que celui qui est marqué trois fois le soit une quatrième, afin de n'avoir pas à payer deux postillons de vingt-huit .jetons. Enfin c'est à chaque joueur à calculer ses intérêts, et à se décider, d'après ce calcul, sur le choix de celui qu'il doit aider de son conseil.

249. Grand gain, grande perte.

On voit que la partie à tourner offre presque toujours une perte plus considérable que la partie entre deux joueurs et que celle à la chouette. Le plus souvent un des trois joueurs perd beaucoup, un autre gagne beaucoup, et le troisième perd ou gagne médiocrement. Cet inconvénient disparaît en convenant d'un prix plus modique pour la fiche.

250. Forces égales.

Cette partie ne doit avoir lieu qu'entre trois joueurs de force égale ou à peu près. Elle est peu usitée et peu connue. Cependant elle semble réunir beaucoup d'agrément par la variété et l'opposition des différents intérêts qu'elle présente.

12.5 Grande bredouille

251. Grand avantage. Danger.

Le succès d'une grande bredouille est l'avantage le plus considérable auquel un joueurpuisse aspirer; ce succès détermine le plus souvent le sort de la partie ; l'espoir de l'obtenir, ou la crainte d'en être frappé, influent sur la plupart des coups. Celui qui a lieu de la craindre, parce que l'adversaire n'a pas encore de trou, se refuse souvent à faire une tenue qui, s'il n'était pas arrêté par cette crainte, lui offrirait des avantages presque assurés ; celui, au contraire, qui y aspire, sans avoir à la redouter, hasarde souvent une tenue incertaine, mais que semble justifier l'appât séduisant du prix attaché au succès. C'est surtout quand ce dernier est près d'arriver au but que la lutte devient plus intéressante. C'est alors que, de part et d'autre, on emploie tous les moyens que suggèrent la prudence et la sagesse des combinaisons : d'un côté, pour opposer et accumuler des obstacles, et préparer des écueils contre lesquels viennent souvent se briser les prétentions et les espérances de l'adversaire ; de l'autre, pour les franchir et en triompher.

252. Sacrifice du marqué.

Dès l'instant qu'un joueur s'aperçoit que le danger de la grande bredouille devient imminent, il se résout à tous les sacrifices qui peuvent l'en garantir; il ne craint plus de s'exposer à perdre des trous, même le marqué, s'il espère trouver son salut dans ces sacrifices. Le trictrac n'offre point de plus grand intérêt que cette lutte, dans laquelle se développent éminemment le talent et la sage prévoyance des joueurs, la justesse des calculs. Alors aucune détermination n'est indifférente. Rien n'est donc plus important que d'appeler l'attention sur les observations qui sont principalement applicables a celte matière.

253. Règle de conduite.

L'espoir ou la crainte de la grande bredouille, le bénéfice ou la perte considérable qui en résultent, doivent fixer principalement l'attention des joueurs et régler la conduite de leur jeu dans la plupart des circonstances. L'ambition doit être modérée par la prudence ; il ne faut pas se livrer à l'entreprise d'une grande bredouille si, en s'y abandonnant, on s'expose à en éprouver soi-même le désastre. C'est ce qui peut arriver lorsque l'adversaire n'a pas encore de trou : car alors, en perdant la bredouille, on la lui donne ; mais lorsqu'on a la bredouille en second, et que, par conséquent, on n'a plus à la redouter, on peut permettre un peu plus d'essor à son ambition. Cet essor cependant doit être soumis aux règles de la prudence et de la circonspection; il ne doit pas aller jusqu'à compromettre le marqué, la queue, le postillon, et tous les avantages qui seraientacquis en se contentant de marquer en petite bredouille. Il faut de plus le concours de probabilités qui justifient cette entreprise : car l'ambition ne doit pas être portée jusqu'à une témérité inconsidérée. Cette partie est extrêmement importante et difficile ; j'y reviendrai aux numéros 386, 449, 450.

254. Avantages à l'adversaire.

Ceux qui savent très bien ce jeu peuvent faire des avantages à ceux qui n'y sont pas aussi forts qu'eux. Ces avantages sont la primauté, 5-5 ou 6-6 abattu, le coin pris, carme et le coin, ou bien un, deux, trois, quatre, cinq trous. On a vu des joueurs donner jusqu'à quatre trous à une personne d'égale force, sous la condition qu'ils auraient la primauté d'abord et à tous les relevés.

255. Que doit-on voir maintenant ?

J'ai donné les définitions, les trois pleins, la sortie des dames, les autres jans, battre, les points et les trous, conventions sur les points gagnés, s'en aller, écoles, règles inconnues, différents genres de parties. Maintenant, il faut donner des conseils pour bien jouer; mais ces conseils s'appuient sur les calculs très faciles d'une arithmétique bien simple : il faut donc mettre l'arithmétique avant les conseils.

On va donner sur cette partie bien des choses, bien des chapitres et paragraphes ; on pourrait l'étendre encore. Avec la table des matières, chacun peut choisir ce qui lui convient. L'un se contentera de connaître les règles que j'ai pris soin de mettre en italique, et de pouvoir les appliquer ; l'autre voudra savoir les raisons de chaque chose.

FIN DU TOME PREMIER.